Un peu de poussière sur les livres d’Histoire – Épisode 4 : Avez-vous essayé de débrancher puis rebrancher l’appareil ?

Artiste image d’en tête : @katrinavt

Une nouvelle spatiale en 5 épisodes.
Temps de lecture estimée : 10mn

Episode 1 : Des nouvelles de l’espace

Episode 2 : La mission

Episode 3 : La caravelle terrienne


– Je vous conseille également de vous rendre vers la ceinture de sécurité la plus proche, déclara la voix grave du secrétaire général. Tant que l’ordre n’est pas rétabli, nous devons stopper la rotation de tous les cylindres. Nous commençons par un arrêt d’une dizaine d’heures. C’est une garantie nécessaire pour faciliter l’intervention des forces de l’OSU sur Mars. Je vous remercie de votre compréhension.

Cette fois, ce fut la panique. Tous les habitants couraient en direction des points de sécurité où ils pourraient s’attacher. Si ce que disait le secrétaire général était vrai, et si le cylindre s’arrêtait de tourner sur lui-même, alors la force centrifuge allait disparaitre et avec elle la gravité artificielle. Toute la station serait alors en apesanteur : les véhicules, les végétaux, les animaux. Les objets flotteraient, certains particulièrement dangereux. Et, surtout, les femmes et les hommes de Solar IV seraient emportés, avec la possibilité d’être gravement blessés. Lorsque le visage du secrétaire général de l’OSU disparut, Venka activa le canal de communication avec le Contrôleur 1.

– Contrôleur 1, appela-t-elle. Vous m’entendez toujours ?

Le contrôleur répondit d’une voix absolument calme :

–  Oui, vaisseau leader.

–  Mettez le commandant Jorge en ligne.

–  C’est contraire aux ordres, capitaine.

–  C’est un ordre, Contrôleur 1. Une urgence.

Le contrôleur n’insista pas et la mit directement en contact avec le commandant. Ce dernier ne s’étonna pas de cette initiative.

–  Capitaine Stone ?

–  Mon commandant, nous avons arraisonné la caravelle terrienne. Je pense que le caractère secret de notre mission n’a plus d’importance. Je demande à ce que l’on puisse vider la caravelle de son carburant, verrouiller ses accès, et qu’on l’arrime au cylindre jusqu’à ce que la situation s’améliore.

–  Entendu.

–  Que pouvons-nous faire, Commandant ?

Le commandant soupira. Il réfléchissait en silence, ce qui irrita Venka. Il fallait agir vite.

–  Commandant !, s’exclama-t-elle.

–  Bon sang capitaine Stone ! Je suis en train de réfléchir !

–  Le temps presse !

–  Merci pour votre clairvoyance !, répliqua-t-il. La caravelle terrienne a réussi à hacker nos systèmes à distance, avec une simplicité… déroutante. Ce qui signifie qu’ils ont à bord un ordinateur assez puissant pour ce type de mission.

–  Et donc, qu’ils ont prévu cette mission dès leur décollage, il y a quatre mois, conclut Venka.

Elle entendit le commandant se gratter le visage.

–  Commandant, nous savons tous les deux ce que ça veut dire.

–  Nous n’en sommes pas sûrs, marmonna-t-il.

–  Regardez la réalité en face ! C’est la Terre qui est aux manettes depuis le début ! Si nos systèmes de télécommunication étaient si efficaces, comment auraient-ils pu en prendre contrôle aussi facilement ? Pourquoi auraient-ils prévu cette mission quatre mois en avance ? Je vais vous le dire, commandant, ce qui est en train de se passer…

Le commandant poussa un cri de stupeur.

–  Commandant ?, s’inquiéta Venka.

–  Capitaine Stone, la rotation du cylindre ralentit !, s’exclama-t-il. Ils ne rigolaient pas ! C’est une catastrophe, la gravité artificielle va disparaitre ! Il faut absolument que nous reprenions le contrôle de la station !

–  Comment ?

Le commandant Jorge réfléchit. Les événements se précipitaient. Il fallait prendre une décision. Mais toutes les options qu’il envisageait lui paraissaient bancales. Une voix féminine s’éleva dans le dos de Venka.

–  La parabole principale, commenta sobrement l’artilleuse. Il faut que quelqu’un l’éteigne puis la rallume. Pendant qu’elle se redémarrera, ce sera un jeu d’enfant d’éliminer le virus.

–  Impossible, répondit Venka. Seule la Terre peut l’allumer ou l’éteindre.

–  Réflexion bête, mais avez-vous essayé de débrancher l’appareil puis de le rebrancher ?, demanda l’artilleuse en riant.

Le regard de Venka s’éclaira.

–  Bien sûr !, s’écria-t-elle. Nous devrions avoir honte de ne pas y avoir pensé plus tôt !

–  Ça ressemble à une mauvaise blague, fit remarquer le commandant Jorge.  

–  Mais c’est la meilleure solution, trancha Venka. Contrôleur 1, seriez-vous capable de prendre contrôle de la parabole lorsqu’elle se redémarrera ?

–  J’ai des notions de programmation, répondit-il laconiquement.

–  Nous n’avons pas besoin de notions mais d’expertise, s’énerva le commandant.

Sa voix vibrait de colère. « Il a peur », songea Venka.

–  C’était ma majeure à l’université, précisa le contrôleur sans se départir de son flegme.

– Cela suffira, nous n’avons pas d’autre choix. Vaisseau 4, escortez la caravelle terrienne jusqu’à la porte D3. Scellez les issues et siphonnez le carburant, nous les libérerons une fois que tout sera terminé.

–  Bien reçu vaisseau leader.

Venka ne perdit pas une minute. Elle décrocha le vaisseau de la caravelle et le lança en direction du cylindre.

–  Capitaine Stone, je vais devoir vous laisser un moment. La situation est critique ici. Le cylindre ralentit et beaucoup de gens ne se sont pas encore sanglés. Ils risquent de dériver dans l’habitacle et de heurter le soleil artificiel. Bonne chance pour votre mission. Nous comptons sur vous.

Il se déconnecta brusquement du canal de communication.

– Commandant ? Commandant vous ne pouvez pas nous laisser comme ça !

Silence.

– Commandant, insista Venka, je ne suis pas sûre que nous réussissions sans votre appui.

A nouveau, pas de réponse. Elle entendit le contrôleur 1 se gratter la barbe avant de déclarer :

– Il s’est déconnecté, Capitaine. Nous sommes seuls désormais.

– Et vous, vous restez avec nous ? Vous risquez votre tête.

– C’est une question bête. Réussissez votre mission et évitons le peloton d’exécution.

Elle se tourna vers son copilote qui n’avait dit mot depuis le début de la mission. C’était un jeune homme mal rasé au regard profond. Il haussa les épaules. L’artilleuse leva sobrement le pouce. Le vaisseau filait toujours vers la parabole.

– Bien. Contrôleur 1, les vaisseaux de protection de la station ne sont pas au courant de notre mission. Ils risquent donc de défendre l’antenne, non ?

– Effectivement. La plupart des systèmes de défense sont activés mais les pilotes sont focalisés sur ce qu’il se passe dans la station. Le temps qu’ils se rendent compte de ce que vous faites et qu’ils décollent, vous serez déjà rentrés à la base.

– Peut-on les prévenir de ce que nous souhaitons faire ?

– Ils suivent les ordres, capitaine. Ils ne désobéiront pas pour vous.

Elle maudit intérieurement le commandant Jorge de les avoir abandonnés. A l’intérieur de Solar IV, la gravité était passée de celle de Mars à celle de la Lune, et les quelques habitants qui n’avaient pas encore pu s’attacher ou se réfugier dans des abris bondissaient laborieusement de pas en pas. Toutes les maisons diffusaient l’alerte. Une grande majorité des solariens étaient bien attachés dans la cave de leurs maisons, où des vivres et un écran étaient disposés. A l’extérieur, l’eau des lacs commençait à sortir de son lit, des véhicules décollaient, les animaux battaient vainement des pattes en l’air. Des patrouilles de véhicules volants circulaient à la recherche de personnes en détresse.

– Contrôleur 1, quelle est la situation à l’intérieur ?

– Les habitants ont bien réagi. Mises à part de rares exceptions, ils sont tous sanglés. La Terre a réussi à imposer un couvre-feu sans avoir besoin d’un seul soldat sur place.

– Et sur Mars ?

– L’issue reste incertaine. Trois bases orbitales terriennes sont aux mains des martiens, mais le spatioport de Lowell, tenu par la Terre, a reçu des renforts. Les forces martiennes qui l’encerclaient ont été obligées de se replier. Les terriens ont un boulevard jusqu’à la ville de Bradburry.

–  Si Bradburry tombe…

–  C’est toutes les bases martiennes qui risquent de tomber. En deux jours la révolution martienne serait écrasée.

La station se rapprochait. Venka orienta son vaisseau vers l’immense parabole située à l’arrière de Solar IV.

–  Capitaine Stone ?, appela le contrôleur 1.

–  Oui ?

–  La quasi-totalité des ordres qu’envoie la Terre à ses troupes sur Mars passe par notre parabole. Si vous réussissez à redémarrer l’antenne, nous pouvons les inonder de fausses informations avant de totalement couper leurs communications. Si vous réussissez, Capitaine, nous pourrions donner son indépendance à Mars.

–  Vous avez intérêt à ne pas vous rater non plus. Dès que la parabole sera hors-service, vous devrez être capable d’en prendre le contrôle.

Le vaisseau s’approcha lentement de l’immense parabole grise. Elle devait mesurer deux kilomètres de diamètre. Une tour se dressait en son centre. Venka se plaça à cinq mètres du sommet de celle-ci et stabilisa son vaisseau grâce à l’ordinateur de bord.

–  Ok, je m’apprête à sortir.

Venka se désangla, et flotta jusqu’à l’arrière de l’habitacle. Elle sortit l’une des trois tenues extravéhiculaires et l’enfila avec l’aide de l’artilleuse.

–  Bonne chance Capitaine, dit-elle sobrement.

Le copilote ne se tourna pas et se contenta de lever la main mollement en guise de salut. Venka se dirigea vers l’étroit sas de sortie. Il se referma derrière elle. Une bobine de câble métallique était fixée au plafond : elle saisit le mousqueton qui flottait et l’accrocha à sa ceinture. Elle serait ainsi toujours reliée au vaisseau une fois à l’extérieur. Puis elle attendit. Avec un casque sur la tête, le bruit de sa respiration lui évoquait les vagues d’une mer agitée – ou du moins, de ce qu’elle avait pu voir en vidéo, il n’y avait pas de mer sur Solar IV. Dans le hublot face à elle, elle pouvait observer son reflet, son regard noir, son visage fermé, et le drapeau ocre imprimé sur le côté du casque. Une fine rayure sur la vitre ; rien d’anormal. La porte extérieure s’ouvrit soudain sur le vide interstellaire où des millions d’étoiles brillaient.

–  Je sors, déclara-t-elle.

–  Bien reçu, répondit Contrôleur 1.

Venka se laissa lentement glisser dehors. Comme à chacune de ses sorties extravéhiculaires, elle ressentit une forte pression sur sa poitrine, une angoisse étrange, celle d’être minuscule. Elle activa les propulseurs à air-comprimé dans son dos qui lui permirent de s’orienter vers la tour centrale. Elle l’atteignit sans difficulté. Une trappe permettait d’accéder à la salle de maintenance.

–  Contrôleur 1, y a-t-il code pour pénétrer à l’intérieur ?

–  Capitaine, l’interrompit le copilote. Des vaisseaux en approche. Cinq.

Une voix retentit sur leur canal de communication.

–  Vaisseau 2772, ici le Capitaine Kalinga. Votre sortie n’est pas autorisée, ordre de rentrer à la base.

–  Capitaine Kalinga, ici Capitaine Stone, répondit-elle. Nous agissons pour rétablir le contrôle sur le cylindre et relancer la rotation.

–  Vous n’avez pas d’autorisation pour cette mission, Capitaine. Je ne peux pas vous laisser continuer. Même avec une bonne intention, si je vous laisse faire et que vous endommagez le système, vous mettriez en danger l’intégralité des habitants de la station. Je vous donne trois minutes pour rejoindre votre vaisseau et nous suivre.

Venka se dirigea en flottant vers la trappe. Elle ne pouvait renoncer maintenant.

– Capitaine Stone, l’interpella Contrôleur 1. J’ai deux informations à vous transmettre. Premièrement, le code pour la trappe est 3671B. Si la Terre ne l’a pas changé.

Au grand soulagement de Venka, la trappe s’ouvrit.

– Et la deuxième ?, s’enquit-elle.

– Vous êtes en direct sur tous les écrans de la station dans trente secondes.

– Quoi ?, s’exclama-t-elle. Comment ?

– J’avais ça sous la main depuis plusieurs années… Je ne pensais pas m’en servir un jour.

– Pourquoi faites-vous cela ?

– Pour que les gens sachent. Vingt secondes.

Le capitaine solarien des vaisseaux d’interception reprit contact :

– Capitaine Stone, nous serons sur vous dans une minute trente. Obtempérez s’il vous plait, j’aimerais éviter d’avoir à ouvrir le feu sur une camarade.

L’artilleuse l’interpella à son tour :

– Capitaine, nous pouvons les ralentir si vous le désirez, mais il faut nous le dire maintenant.

Tout allait trop vite.

– Dix secondes, dit le contrôleur 1.

Venka se rendit compte que le stress bloquait sa respiration. Elle inspira profondément. L’oxygène des bonbonnes rafraichit ses poumons. Elle détacha le câble métallique qui la retenait au vaisseau, et ordonna d’une voix calme :

– Artilleuse, essayez de les retenir au maximum. J’ai besoin de cinq minutes.


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