L’échappée – Épisode 12 : Sur Terre, il ne fait jamais silence

Les épisodes 11 et 12 constituent un unique double-épisode. Merci, encore, pour votre patience, vos commentaires, et vos messages d’encouragement. Bonne lecture !

Les épisodes précédents, c’est par ici :

– Épisode 1

– Épisode 2

– Épisode 3

– Épisode 4

 Épisode 5

– Épisode 6

– Épisode 7

– Épisode 8

– Épisode 9

– Épisode 10

– Épisode 11


Un cri.

Un cri effroyable.

Un cri effroyable et déchirant. Déchirant l’espace, le temps, et les limbes dans lesquelles la jeune femme avait sombré.

Et, tout près, un son aigu, moins angoissant, mais régulier, surnaturel, intriguant. L’alarme d’une montre digitale.

La jeune femme ouvrit un œil. Machinalement, elle éteignit la montre et tenta de se redresser. Une vague de nausée la prit, elle interrompit son geste et respira profondément pour calmer son vertige. De la poussière emplit ses narines provoquant chez elle une toux qui venait des bronches. Son visage était collé au sol, son corps ankylosé ne répondait plus. Une naufragée sur la grève d’une île inconnue.

Elle essaya de reprendre ses esprits, de se situer : que faisait-elle ainsi allongée au sol, sans repères ?

Un cri, à nouveau. Il provenait d’un point hors du champ de vision de la jeune femme.

Elle voulut parler, mais elle ne connaissait aucun mot. Elle ne connaissait pas son prénom. Elle ne s’inquiéta pas de la disparition des mots. Pourquoi s’inquiéter de l’absence de quelque chose que l’on ne connait pas ?

Sans mot pas d’histoire. Pas d’Histoire.

Une histoire ? Voilà un mot, un mot étrange. Il ne ressemble à aucun autre. Si on le découpe, l’Hist, pourrait être un point cardinal oublié, et l’Oire, un nom de rivière qui trouverait sa source dans un massif inaccessible ? On pourrait remonter le cours de l’Oire en direction de l’Hist.

− C’est absurde, grommela la femme allongée au sol.

Ces mots délièrent progressivement un nœud dans un coin de sa tête. Ils la reconnectèrent à son identité. Zoé. Les plongeons. Néandertal. Elle s’assit lentement, luttant contre le vertige. Lorsqu’elle put reprendre ses esprits, elle regarda autour d’elle. La grotte était vide, et le silence à l’extérieur indiquait que la bataille était terminée. Que s’était-il passé depuis l’évanouissement de Zoé ? Comment s’était finie la bataille ? L’obscurité qui régnait avait quelque chose d’étrange, d’illisible, comme si les ombres de la nuit fuyaient son regard. La sensation évoquait celle d’un cauchemar.

Le cri, la plainte, provenait du fond de la grotte. Elle se remit sur ses pieds ; puis elle fit un pas, un autre, et se dirigea lentement vers la cavité où elle avait discuté avec Mémoire. Là, Zoé assista à une scène incroyable.

Une femme sapiens était en train d’accoucher, entourée de quatre autres personnes. Zoé fut instantanément frappée de constater qu’il y avait des sapiens, au front court et aux petits nez, et des néandertaliens, aux nez très prononcés. La grotte sentait la sueur. La chaleur des corps, couplée à celle du feu, rendait l’atmosphère irrespirable.

L’archéologue scruta les visages et reconnut Hän, le fils de Mémoire, accroupi près de la femme qui accouchait. Il lui tenait la main, le front plissé par l’inquiétude. Mais les cris de douleur furent bientôt remplacés par ceux du bambin qui venait de naître. Zoé s’approcha, toujours invisible aux yeux de ces femmes et de ces hommes préhistoriques ; le feu vacilla un instant lorsqu’elle passa près de lui. En voyant le visage du nouveau-né, elle n’eut aucun doute : c’était un enfant métis, né de l’union entre une sapiens et un néandertalien.

Zoé fit un pas en arrière, quelque peu émue par la scène. Car sous ses yeux venait d’être confirmé ce que la génétique avait laissé entrevoir depuis plusieurs années déjà. Les Hommes de Néandertal n’avaient pas vraiment disparu. Ils s’étaient mêlés aux Sapiens. Et en chacun d’entre nous subsistait un pourcentage d’ADN néandertalien, vestige d’humains dont les dernières traces remontent à trente mille ans.

− Un bout de rêve vient de naître, commenta une voix derrière la jeune femme.

Zoé sursauta. Elle se retourna, et se figea, interdite.

− S… Sana ?, bégaya-t-elle.

La chercheuse arborait un large sourire. Elle désigna la scène du menton.

− J’ai toujours rêvé d’observer ce moment.

Les femmes et les hommes préhistoriques entourèrent la mère de l’enfant. Un à un, ils présentaient leurs poignets recouverts d’ocre rouge et crachaient dessus. Puis, ils mélangeaient pigment et salive, donnant à leurs avant-bras une couleur sanguine.

− Voilà une coutume que les archéologues de 2020 ne peuvent pas connaitre, fit remarquer Sana.

− Comment m’as-tu trouvé ?, chuchota Zoé comme si les autres pouvaient l’entendre.

− Tu m’as donné toutes les informations pour te retrouver. Comme tu n’étais pas sûre de la date, il a fallu faire quelques tests mais au final… me voilà !

− Je ne t’ai jamais donné des informations pour…

Sa voix se perdit dans les cris de joies qui emplirent la grotte. Hän prit délicatement le nouveau né dans ses bras et sortit. Sana fit signe à Zoé de la suivre, et bientôt elles furent dehors, dans la douceur d’une nuit d’été. La lune n’était pas visible, et l’absence de pollution lumineuse rendait le ciel vertigineux. Zoé repéra une étoile brillante qu’elle ne connaissait pas. Sana dût sentir son interrogation car elle expliqua :

− Une supernova très lointaine. L’énergie a fini par se perdre dans les immensités de l’espace. Il n’en reste rien de nos jours.

− Combien de temps ai-je dormi ?

− Impossible de le savoir. Tu n’as pas dormi. Tes molécules se sont disloquées et ont erré plusieurs années ici. Pour toi, il ne s’est passé qu’une poignée de secondes. Pour nous, peut être quelques heures. Ici, c’est l’affaire d’une décennie.

Le fils de Mémoire serrait le nouveau-né dans ses bras en observant calmement les étoiles. Dans ses yeux, une étincelle sembla jaillir.

− Là !, s’exclama Zoé. C’est là que ça se produit ! Exactement comme le chevalier provençal et le petit Arthur.

− Le retour de l’imagination, confirma Sana. L’énergie, le carburant, le flux.

− Mais je n’ai toujours pas trouvé le Lien, se lamenta la jeune femme.

− Tu peux facilement le deviner.

Zoé soupira en s’asseyant. Un upwelling se leva doucement, mais cette fois-ci, elle le laissa remonter sans lutter. Il apporta avec lui des souvenirs doux ; des souvenirs d’enfance, de camaraderie, de soirées joyeuses et de chaleur humaine. Il apporta du bonheur, mais un bonheur partagé, celui d’un repas en famille aux portes de l’été. Le courant coula sur elle et se mélangea aux pièces éparpillées du puzzle de son enquête temporelle. Il connecta des événements douloureux de l’Histoire d’Europe ; une pandémie moderne, une région dévastée, une disparition d’hominidés.

− Le Lien…, commença Zoé.

En Provence, un chevalier haletant songeait à l’avenir. A genoux dans une neige d’été, il contemplait les ruines de son temps et se demandait…

− Le Lien…, répéta-t-elle.

…elle se demandait comment son enfant, héritier du trône de Bretagne, allait échapper aux griffes de Pendragon et bâtir un royaume fédéré ? La question qu’elle se posait…

Zoé touchait au but. La réponse lui paraissait désormais tellement évidente, simple et complexe, qu’elle s’en voulait d’avoir parcouru le Temps pour la trouver.

… le père de l’enfant-aux-deux-sangs souriait. Il savait que sa fille contribuerait au futur radieux de la tribu. Elle incarnait un pont formidable entre les êtres humains…

Les cris de joies se poursuivaient dans la grotte.

…car l’enfant-aux-deux-sangs les aiderait à tisser un imaginaire en commun.

− Un imaginaire en commun, murmura Zoé.

Sana opina du chef mais attendit patiemment que Zoé arrive à sa propre conclusion.

− Les crises ne sont pas exogènes, reprit l’archéologue. Elles sont endogènes. Elles ne naissent pas d’une catastrophe extérieure. Elles sont les produits de nos sociétés. Une crise n’existe que parce qu’une société existe. Ce qui veut dire…

Son cerveau établissait les connexions manquantes pour enfin révéler ce qui s’imposait.

− Ce qui veut dire que peu importe la catastrophe qui nous frappe : l’origine des crises n’a rien de naturelle. La crise naît de l’absence, de la disparition d’une caractéristique intrinsèque à l’Humanité. Une caractéristique simple et universelle : la solidarité. Le Lien entre toutes les crises serait donc… la perte de liens ?

− Le moteur, c’est la solidarité, la connexion entre les hommes et les femmes du monde, confirma Sana. Le carburant, c’est l’imaginaire. Si l’on cesse de se projeter ensemble, tout s’effondre.

− Mais le virus…

− S’est répandu parce que nous avons cessé de communiquer et de travailler ensemble. Parce que chaque pays a mis en place ses propres mesures et n’a plus cherché à aider les autres.

− Et la peste ?, insista Zoé.

− S’est muée en pogroms des juifs qui n’étaient de toute évidence pas responsables de l’épidémie. Tout comme les sapiens ont accéléré la « disparition » des Néandertaliens – bien que, tu l’auras compris, certains couples mixtes se soient unis.

− Et Rome, compléta Zoé, était minée par les guerres intestines.

− Le coronavirus n’est qu’une pierre, poursuivit Sana, un de ces obstacles terribles en travers de notre chemin commun. Il nous a fait oublier que la crise se nourrit de notre propre façon d’y faire face. La clef c’est la solidarité, la sororité, la fraternité. C’est se serrer les coudes quand ça frappe, c’est faire face, ensemble, à l’adversité, la douleur, la tristesse ; pour la vie, pour les autres, et pour soi. C’est de ça dont on doit se souvenir plus tard : comment les Hommes ont vaincu la mort en avançant ensemble.

Zoé hocha lentement la tête. « Construire des imaginaires communs, rien que ça », songea-t-elle amèrement. Elle s’était représentée une solution moins… collective. Peut-être avait-elle caressé inconsciemment l’idée qu’elle endosserait le rôle d’héroïne de l’histoire ; un rôle aux accents hollywoodiens, où elle aurait désamorcé une bombe en étant regardée et applaudie par des millions de téléspectateurs. Mais les véritables héros de ce monde n’auront jamais de livres pour conter leurs exploits, personne n’érigera de statues à leurs effigies. Les tisseurs d’imaginaires communs, les rêveurs solidaires, peuplent la planète depuis des millénaires sans aucune reconnaissance de l’Histoire. L’Histoire, et son pompeux H majuscule, célèbre depuis toujours les conquérants sanguinaires qui font de leurs rêves le cauchemar des autres.

− J’aurais préféré un truc plus simple, avoua Zoé, dépitée.

− Quand on veut faire simple, on se lance pas dans une carrières en sciences humaines !, s’exclama Sana en riant.

− Disons, à la rigueur, une solution moins « gnangnan ».

− Je ne vois pas ce qu’il y a de « gnangnan »… Sans solidarité, on parle de millions de morts et d’une infinité de drames et d’injustices. Ce n’est pas gnangnan, c’est nécessaire.

Zoé haussa les épaules. Hän finit par retourner à l’intérieur de la caverne, sa fille dans les bras.

− En tout cas, ça ne m’explique pas comment tu m’as retrouvée.

− Regarde-moi, lui intima Sana. Tu ne vois rien de changé ?

Zoé plissa les yeux. L’obscurité n’était atténuée que par la pâle luminosité des étoiles. Au début, elle ne remarqua rien, mais petit à petit elle distingua de subtiles différences : des rides légèrement plus prononcées aux coins des yeux ; des cernes un peu plus creusés ; une mèche de cheveux blanche parmi la chevelure noire. Sana finit par répondre à sa place.

− J’ai l’air vieillie, non ?

− Un peu, reconnut Zoé.

− C’est parce que je ne viens pas de la même époque que toi.

Zoé fit un pas en arrière.

− Quoi ?

− Je viens d’un peu plus tard… Dix ans, grosso modo.

− Je ne comprends pas.

− Je viens des années 2030, Zoé. En 2020, tu as réussi ta mission. Tu es revenue de la Préhistoire, tu nous as tout raconté. Tu as fait faire un bond en avant à l’étude des crises, à l’archéologie, à l’Histoire, et même à la transition écologique, à l’urbanisme, à l’ensemble des sciences humaines et à l’art. L’ouvrage que tu as écrit à ton retour a révolutionné notre façon de concevoir le monde.

Zoé avait le vertige. Était-elle encore endormie ? Sana s’approcha et continua :

− Le monde de 2030 n’est pas radicalement différent de celui de 2020. Il reste complexe, les rapports de forces anciens sont tenaces. Mais on avance. Et c’est en grande partie grâce à toi. A ton retour, nous avons détruit toutes nos machines et caché le code source du programme qui nous permettait de faire des plongeons. Lorsque la société d’armement qui nous pourchassait a fait faillite, en 2027, et que l’Etat a garanti l’indépendance de la recherche, nous avons relancé le programme. Nous avons recréé un ordinateur quantique formidable : « Matrice Reloaded », comme l’a baptisé Julia. Nos recherches avancent bien.

L’archéologue s’assit, estomaquée. Elle se massa les tempes et réfléchit à voix haute :

− Donc… ça veut dire que je vais rentrer saine et sauve en 2020 ?

− Exactement.

− Je n’arrive pas à croire que tu viens du futur.

− Et pourquoi donc ? Il n’y a pas de raison que tu sois la seule à pouvoir voyager dans le temps, rétorqua Sana en lui faisant un clin d’œil. Si tu reviens dans le passé, et que je reviens aussi… C’est logique que l’on puisse se croiser, non ? L’année de départ importe peu, c’est l’année d’arrivée qui compte !

− Ce qui veut dire que, potentiellement, une Sana de 2050 est en train de nous observer quelque part depuis un buisson ?

− Peut être, répondit la chercheuse en riant.

Elles se turent. Zoé jeta un regard à la ronde, à la recherche d’un autre visage familier. Mais la colline resta déserte.

− C’est terrible…, marmonna Zoé.

− Et pourquoi donc ?

− Parce que ça signifie que le futur, le présent, et le passé existent en même temps. Quoi que je fasse, nous nous retrouverons forcément dans ton futur. Il n’y a pas de possibilité de choix… c’est comme si tout était écrit ! Je parie que la Zoé de ta séquence temporelle a déjà eu cette conversation avec toi par le passé.

Sana souriait.

− Oui, elle l’a eu. Mais détrompe-toi : rien n’est vraiment écrit. Tu ne comprends toujours pas le principe fondateur de la physique quantique : tout est à la fois vrai et faux. Vivant et mort. Ecrit et libre. Le temps n’y échappe pas. Tant que tu ne prends pas connaissance de ton avenir, tous les choix que tu fais sont libres, n’est-ce pas ? Si tu ne sais pas où tu vas, peu importe que le destin existe… ou qu’il n’existe pas ! Ce qui fait la différence, c’est l’information : tant que tu n’as pas l’information, tant que tu ne sais pas quel est ton avenir, tout est possible ! Tant que tu n’as pas l’information, le chat de Schrödinger est à la fois vivant et mort, pas vrai ? L’ouverture de la boîte fixe définitivement l’état du chat. Quand bien même notre futur serait unique, défini, ton libre arbitre, lui, reste infini. Est-ce plus clair ?

− Pas vraiment.

− Tu es libre de prendre n’importe quelle décision, Zoé, car tu ne sais pas où l’avenir t’amènera. Ce n’est pas le futur qui produit le présent, c’est le présent qui produit le futur.

− Mais si c’est l’information qui est centrale, reprit Zoé à voix haute, pourquoi tu me racontes mon avenir ? Si je suis ta logique, tu viens de me priver de tout libre arbitre. Désormais, j’agirai toujours avec fatalisme : je sais que je publierai un livre, je sais qu’il aura une influence, je sais que je vais revenir à mon époque sans encombre.

− Effectivement, je viens d’enfreindre la première loi de l’Ethique Temporelle : le plongeur ne doit jamais transmettre d’information. Mais ces lois d’Ethique Temporelle ont été créées… Par toi.

− Hein ?

− Avec nos plongeons « artisanaux », nous avons créé une boucle temporelle paradoxale : une information est née de nulle part. On est d’accord que cette loi d’éthique temporelle n’a vraiment été inventée par personne, hein ? Certes, à ton retour, tu la rédigeras sur papier, mais c’est parce que je viens de te l’énoncer. Or, pour ma part, je ne connaissais pas cette loi avant que tu ne l’écrives, à ton retour en 2020. Je récapitule : actuellement, Sana de 2030 énonce la loi à Zoé de 2020. Plus tard, Zoé de 2020 écrira la loi, et en fera part à Sana de 2020, qui finira quelques années plus tard… par retourner dans le passé pour énoncer cette loi à Zoé. Et ainsi de suite ! Qui a créé cette loi ?

Zoé haussa les épaules.

− Personne !, s’exclama Sana avec excitation. Tout le monde ! C’est ce qu’on appelle un paradoxe temporel. Une boucle sans début ni fin. Mais contrairement aux films « classiques » de science fiction, le monde ne va pas s’effondrer, exploser, imploser – ou je ne sais quoi de farfelu – à cause de ce paradoxe. Non, ce paradoxe temporel que nous avons créé fait désormais partie intégrante du cours du temps, et n’est donc par définition… plus du tout un paradoxe, mais un événement historique comme n’importe quel autre événement !

Sana éclata de rire face à la mine déconfite de Zoé.

− Un paradoxe qui n’est pas un paradoxe, voilà un beau paradoxe, non ? J’adore la physique quantique.

− Je suis donc la seule personne au monde à connaitre mon avenir, comprit Zoé. Comme c’est quand même assez dangereux de connaitre son avenir, cette situation me poussera à écrire les lois d’Ethique Temporelle pour faire en sorte que je reste la seule personne au monde… à connaitre mon avenir ?

− Tout à fait. Et pour cela, il fallait… que tu connaisses ton avenir.

− C’est à s’en arracher les cheveux, grommela Zoé.

− Tu noteras, en revanche, que je ne t’en dis pas plus ! Je t’ai révélé ce que Zoé – celle de ma séquence temporelle, dans dix ans, quoi – m’a dit de te révéler. Ni plus, ni moins.

Elle se tut. Dans la grotte, derrière elles, les cris s’étaient calmés. L’heure était au repos. Les grillons préhistoriques qui peuplaient les plaines s’en donnaient eux à cœur joie.

− Et le coronavirus ?, s’enquit timidement Zoé. On a trouvé un vaccin ?

− Tu imagines bien que je ne peux pas te donner cette information, rétorqua Sana en lui faisant un nouveau clin d’œil.

Fair enough.

L’archéologue inspira et se remit sur pieds.

− Et maintenant ?

− Maintenant, tu dois retourner sur ton lieu de plongeon car Julia doit se faire un sang d’encre. Il s’est passé plusieurs heures en 2020 depuis ta perte de connaissance. Elle a pu prolonger le protocole d’arrêt temporel mais elle a complètement dépassé les limites généralement admises… La facture électrique va être salée. Il te restera cependant un petit plongeon à effectuer…

− Encore un ? Et à quelle époque je dois aller cette fois ? Au tout début de l’Histoire ?

− D’une certaine manière, oui.

***

Dans le hall d’entrée, Sana hésitait. Indécise, elle se tourna vers la jeune femme aux grands yeux clairs qui se tenait près d’elle, mais elle ne sut quoi lui demander. Sentant son indécision, la jeune femme aux yeux clairs la rassura :

− Tout va bien se passer.

− Cette histoire est complètement folle, fit remarquer Sana, complètement folle !

− Pas plus folle qu’un dispositif pour voyager dans le temps.

La chercheuse acquiesça. Malgré tout, l’existence de cette boucle temporelle la tracassait.

− Donc je récapitule…

− On a déjà récapitulé plusieurs fois, je t’assure, tout va bien se passer !

Sana hocha la tête en se grattant nerveusement le visage. Puis, elle salua la jeune femme et s’élança dans les escaliers jusqu’à la porte qu’elle lui avait indiqué. Au bas des marches, la jeune femme aux yeux clairs écoutait avec attention. Elle entendit Sana toquer une première fois. Personne ne répondit. Puis une deuxième. Cette fois, on ouvrit la porte.

− Euh… Oui ?, demanda une voix.

− Ah ! Bonsoir, désolé de vous déranger aussi tard… Je… Je m’appelle Sana, enchantée.

− On ne… On ne peut pas se serrer la main, vous savez ? La quarantaine, tout ça…

− Oui, oui bien sûr !, s’empressa de répondre Sana. Pardon !

− C’est pour quoi ?, demanda la voix.

− Et bien je…, bredouilla Sana. Je m’apprêtais à faire des cookies, et je me suis rendu compte qu’il me manquait de la farine. Est-ce que vous pourriez me dépanner ?

− Vous dépanner ? Pour faire des cookies à une heure du matin ?

Au pied des escaliers, la jeune femme aux yeux clairs – Zoé – songea avec amusement : « quelle excuse bidon, tu m’étonnes que je lui aie claqué la porte au nez ! ». Elle quitta le hall et sortit dans la rue. Dans la nuit confinée, l’espace public était désert.

***

Tu vas retourner dans le passé, expliqua Sana. Mais cette fois, tu remonteras simplement quelques heures plus tôt. Tu viendras me voir mon « moi » de 2020. Tu m’expliqueras tout. Et tu me pousseras à venir te rencontrer le soir même ; à venir rencontrer ton « toi » confiné, et à l’inviter à participer à cette aventure.

C’est… C’est comme ça que tout a commencé ?

Oui. Tu es venue en tout début de soirée, et tu m’as tout raconté.

Mais comment as-tu pu me voir ? Les plongeurs sont invisibles…

Ta substance est inversement proportionnelle à la profondeur du plongeon. Plus tu plonges loin, moins tu es consistante. Si tu remontes le temps de quelques heures, tu seras complètement visible.

Et une fois que tu auras toqué chez moi, et que je t’aurais ouvert…

La boucle sera bouclée.

***

« La boucle est bouclée », se dit Zoé en se dirigeant vers le lieu de plongeon où Julia la ramènerait dans le présent. Elle allait enfin pouvoir rentrer chez elle, dormir, profiter encore un peu du silence imposé.

Car sur Terre, il ne fait jamais silence.

La planète est couverte de rires, de cris, de discussions et de bruit,

Mais l’on se tait pourtant lorsque l’obscurité s’installe.

Là-bas, éveillés, deux enfants plongent dans le ciel,

De poussière d’étoile sont tissés leurs espoirs,

D’un peu d’imaginaire pour réchauffer la nuit.

Naufragés d’une époque aux remous infinis,

Ils inventent l’avenir, ils écrivent l’histoire,

Là-bas, endormis, deux enfants plongent dans le ciel.

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