L’échappée – Épisode 4 : Le plongeon

Les épisodes précédents, c’est par ici :

– Épisode 1

– Épisode 2

– Épisode 3


− Et pourquoi une archéologue ? Pourquoi pas… une économiste ?

− Parce que nous avons besoin de quelqu’un qui connaisse l’Histoire et qui parte sur le terrain.

− Quel terrain ?, demanda abruptement Zoé.

Sana adoucit sa voix et lui demanda :

− Avant de te répondre, il faut que nous sachions… Dans tes recherches tu as abordé différentes époques, différentes sources, différents matériels… Quels sont tes sujets favoris ?

Et bien… J’ai toujours été passionnée par l’impact du climat et des phénomènes astronomiques sur les sociétés et les civilisations. Après, la disparition de l’Homme de Néandertal, l’effondrement de l’empire romain et l’épidémie de peste noire m’intéressent tout autant… Il n’est d’ailleurs pas impossible que le climat ait eu un impact direct sur ces différentes crises.

− Donc XIVe siècle, Ve siècle, et disons… -30.000 avant JC ? Tu es sûre que le climat a influencé ces crises ?

− « Sûre », non, répondit Zoé en réajustant ses lunettes, mais des chercheurs ont émis des hypothèses intéressantes à ce sujet.

− Et… pour le virus actuel ?

− Je n’en sais rien, il y a surement des facteurs climatiques, mais impossible de le prouver. Le climat n’est qu’une porte d’entrée pour aller plus loin dans la compréhension des crises.

Sana se tourna vers Olivier.

− Trois périodes, ça peut le faire ?

− En termes de données, c’est bien. En termes de logistique, c’est ambitieux. Surtout pour Néandertal.

Il saisit sa tasse de café, et la but d’une seule traite en grimaçant : le liquide avait refroidi. Sana se passa la main dans les cheveux. Elle avait l’air soucieuse.

− De combien de temps disposons-nous ?, s’enquit-elle auprès d’Olivier.

Il regarda sa montre.

− Une heure ou deux, maximum. Il est déjà quatre heures.

Zoé ne comprenait toujours rien à l’échange, mais elle avait dépassé le stade de la colère et s’était résignée à les écouter en silence. Le vrombissement des ordinateurs, en trame de fond, avait quelque chose d’apaisant. Olivier prit une longue inspiration, et lâcha :

− On peut utiliser un protocole DSTQ3 pour gagner du temps, mais on ne va pas arranger notre cas.

− Combien ?

− Trois heures max. Au-delà, on risque de sérieux problèmes d’ordres physiques.

Sana se leva d’un bond et avança au centre de la pièce.

− S’il vous plait !, s’exclama-t-elle. Lâchez vos écrans deux minutes !

Tous les programmeurs s’interrompirent et se tournèrent dans sa direction. Julia avait encore la bouche pleine de lasagnes.

− Bien. D’abord, je tiens à vous remercier d’être là ce soir. Travailler de nuit n’est pas facile, j’en ai conscience.

Un murmure d’approbation parcourut la salle.

− Maintenant écoutez : le temps nous est compté. Nous avons reçu l’ordre, avant-hier, de  cesser toutes nos recherches. Selon le ministère, la pandémie actuelle rend notre travail secondaire. Mais ce n’est pas tout : nous avons eu la confirmation, avec Olivier, que nos financements vont nous être retirés et notre matériel confisqué.

Le murmure se transforma en brouhaha. Tout ce travail pour rien ? Des centaines, des milliers d’heures à défier les lois de la physique pour s’entendre dire que l’on devait tout arrêter ?

− Vous avez raison, approuva Sana. Nous aussi, nous sommes déçus. Comprenez bien : ce n’est pas la qualité des recherches qui est remise en cause, bien au contraire. Nos travaux vont être repris… par le ministère de la défense.

Cette fois, plusieurs programmeurs se levèrent pour protester. La cacophonie rendait toute discussion impossible. Sana leva les mains en signe d’apaisement. Les discussions cessèrent aussitôt.

− Oui, je sais, c’est frustrant, mais on pouvait s’en douter. Tant que ça reste de la recherche fondamentale, tout le monde s’en fiche, mais dès qu’on trouve une application opérationnelle, tout le monde panique ! Tout ça pour vous dire que nous devons boucler notre programme de recherche… ce soir.

Un silence glacial accueillit ses propos. Julia se leva et s’écria :

− Quoi ? Mais c’est n’importe quoi ! C’est tout juste si le prototype fonctionne !

− Quel prototype ?, demanda Zoé.

− Il doit fonctionner, confirma Olivier. Nous vous donnons quatre heures pour le prouver et récupérer les données qui nous permettront de trouver le Lien. Nous lançons un protocole temporel dans une heure pour gagner du temps. Nous devrions avoir une visite de l’armée d’ici le lever du jour.

− Et qui va plonger ?, s’enquit Julia.

Sana posa une main sur l’épaule de Zoé. Tous les regards convergèrent vers elle. La jeune femme s’écarta brusquement :

− Ah non-non-non, Zoé elle « plonge » nulle part ! Surtout pas quand elle sait pas dans quoi elle s’engage ! J’ai jamais fait d’archéologie sous-marine, moi, et je compte pas commencer ce soir ! Et cette histoire de prototype… C’est censé me rassurer, ça ? Donc Zoé, elle a été assez patiente jusque là, elle en a marre de rien piger à votre recherche mystérieuse – tellement mystérieuse qu’on vient la chercher en pleine nuit pour traverser Paris à vélo.

Elle fit une pause, cherchant ses mots.

− Je suis épuisée, avoua-t-elle, et je n’ai pas du tout envie de me mettre le ministère de la défense à dos. J’ai déjà assez de problèmes avec d’autres ministères pour ne pas en plus me farcir celui de la défense.

Un silence gêné accueillit ses propos. Zoé comprit qu’ils n’avaient pas d’autres choix. Si elle refusait, tout le travail du laboratoire tombait à l’eau. Elle soupira d’agacement en se pinçant l’arrête du nez, et grommela :

− Où est-ce que vous voulez m’envoyer, à la fin ?

Sana ne put contenir un sourire nerveux.

− Et bien, je croyais que tu l’avais compris.

− Nous t’envoyons dans le passé, compléta simplement Olivier.

****

− Je n’arrive toujours pas à y croire, marmonna Zoé.

Elle était confortablement installée dans un fauteuil bardé de câbles. Le fauteuil se trouvait dans une petite pièce adjacente remplie de consoles et de serveurs. Sana, Olivier, et deux autres programmeurs se tenaient derrière une vitre blindée. Julia, assise non loin de Zoé, pianotait des commandes sur un ordinateur au look rétro.

− Ça va faire mal ?, demanda Zoé.

Julia haussa les épaules.

− A priori, non. La matrice fonctionne bien, le code est stable. Toute l’équipe sera sur le pont tout au long de tes traversées.

− La matrice ?

− Un simple clin d’œil au film Matrix, précisa Julia. Dans les faits, ça n’a rien à voir.

La pièce se mit à vibrer doucement. Sana rejoignit Zoé et posa la main sur son épaule.

− Bien. Est-ce que tu te sens prête ?

− Non, surtout pas après m’avoir fait signer la paperasse qui vous décharge de toute responsabilité…

− Je peux comprendre, concéda la professeure, mais ce sont de simples précautions. Tu peux encore renoncer si tu le souhaites.

Zoé se mordit la lèvre inférieure. Durant la dernière demi-heure, on lui avait expliqué précisément le fonctionnement de l’engin. Il scannait son corps, lentement, et le retranscrivait en code. Puis, il cherchait un « pont temporel », une connexion entre des particules du présent et des particules de l’époque souhaitée. On faisait passer un courant électrique puissant pour transformer ce pont en tunnel, et on y injectait le code de la personne souhaitant voyager. Un « désarticuleur quantique », grande invention et fierté de Sana, « effaçait » le corps de la personne dans le présent et « l’imprimait » dans le passé. En somme, c’était l’équivalent du couper-coller informatique… avec un corps humain. Zoé était à la fois terrorisée et fascinée.

− Non, dit-elle d’une voix mal assurée, on continue.

Sana sourit, soulagée.

− Bien, reprit-elle. L’objectif est de trouver le Lien et de le comprendre. Qu’est-ce qui relie toutes les crises, tous les événements importants de notre Histoire ? Toutes les données que tu pourras ramener seront bonnes à prendre. Commence par ce qui t’intéresse : l’impact du climat et des phénomènes astronomiques sur nos civilisations. Le Lien n’est pas là, mais c’est un début, j’en suis certaine.

− D’accord.

− Prends des notes, des photos, fais des croquis… As-tu de la batterie sur ton téléphone ?

− Oui, j’ai eu le temps d’attraper deux batteries portables avant de filer. Est-ce que tout ça… voyagera avec moi ?

− Bien sûr, la rassura Sana, et ça te servira de lampe et d’appareil photo. Mais tu te doutes que tu ne pourras pas nous passer de coup de fil, une fois là-bas. Tu en auras surtout besoin au retour…

− Comment ça ? Pourquoi j’aurais besoin de mon téléphone au retour ?

− Julia va t’expliquer comment tout cela fonctionne, éluda la professeure. Le temps nous est compté. Nous pouvons grappiller deux ou trois heures, max. Chaque minute que tu passes là-bas, c’est une minute ici. Va à l’essentiel et fais confiance à ton intuition.

Elle retira la main de l’épaule de Zoé, puis s’éloigna. Julia fit rouler sa chaise de bureau et s’approcha de Zoé. Elle avait quitté sa moue boudeuse et affichait désormais un air faussement nonchalant. L’agitation de ses jambes trahissait son anxiété.

− Bon, dit Julia. Je vais être ton seul relai avec notre époque. Écoute-moi attentivement et tout va bien se passer. Tiens, tu sais quoi ? Prends des notes.

Zoé avait son sac à dos sur les genoux. Elle acquiesça vivement en dézippant une des poches, et en sortit un carnet et un stylo.

− Tu vas faire trois plongeons. Un par époque. A chaque fois, tu auras une heure et demie sur place, maximum.

− C’est court, regretta Zoé.

− C’est nécessaire ! Tu n’as pas idée de la quantité d’énergie que bouffe cette machine. Trois plongeons, une heure et demie par plongeon, c’est tout.

D’une impulsion, Julia fit rouler sa chaise jusqu’à son bureau, saisit un ordinateur portable et revint se placer à côté de Zoé.

− Quand tu « plonges », tu atterris dans le passé. Pour le lieu, difficile d’être très précis… Ce sera sûrement à l’extérieur d’une ville, de nuit. Peu importe l’endroit où tu apparaitras – à côté d’un arbre, derrière une grange, sur une colline, dans une forêt… Tu dois absolument prendre des photos du lieu d’arrivée. A mesure que tu t’en éloignes, tous les cinq mètres, tu te retournes, et tu prends une photo du chemin. Prends des notes, si tu préfères. Tant pis si tu perds dix minutes de ton temps, tu ne dois surtout pas oublier ton lieu d’arrivée. Jamais, d’accord ?

Zoé hocha la tête en déglutissant difficilement. Elle contenait comme elle le pouvait les tremblements qui agitaient ses membres.

− Le lieu d’arrivée est ton seul moyen de revenir, poursuivit Julia. C’est là que le plongeon se fait, dans les deux sens. Si tu le perds, tu ne rentres pas. Tiens, prends-ça.

Julia lui tendit une oreillette.

− Tu ne pourras communiquer avec moi que depuis cet endroit. J’insiste, ne te perds surtout pas au retour. Dernière chose : les gens, là-bas, ne pourront pas te voir. On ne sait pas vraiment pourquoi… On peut plonger dans le passé pour l’observer, mais toute intervention de notre part est impossible. Ça créerait un paradoxe temporel.

Julia se massa la tempe d’une main en pianotant sur son ordinateur de l’autre.

− En gros, ton corps disparait d’ici temporairement. Il réapparait là-bas, mais personne ne peut te voir ni t’entendre. Rien ne te touche. Tu ne peux pas ramener d’objets de l’époque, ni de plantes, ni de spécialités culinaires locales, et – heureusement – pas de maladie. On a assez à faire avec le Covid-19, on se passera de la « Peste Noire-1348 ».

Julia lâcha un bref éclat de rire nerveux. Lorsqu’elle fût calmée, elle secoua la tête doucement et conclut :

− Quand une heure se serra écoulée, reviens au point d’arrivée, éteins ton téléphone portable, contacte-moi, et je te ramène à la maison. Je peux m’assurer que tu reviennes entière, à la bonne époque, et éviter que tu ne réapparaisses à trois mètres du sol, mais je n’ai pas la puissance électrique nécessaire pour être ultra-précise. Tu atterriras donc quelque part dans Paris, dans un rayon d’un ou deux kilomètres autour du labo. Le retour chahute un peu, tu verras. L’oreillette grille au retour, comme tout appareil électrique allumé. C’est donc hyper important que tu éteignes ton téléphone avant de rentrer, si tu veux pouvoir nous appeler pour nous dire où tu te trouves. Ok ?

Zoé prenait des notes à toute vitesse, en essayant de bien mettre en ordre toutes les étapes. Quand elle eut fini, Julia lui demanda si elle était prête. Zoé soupira :

− Oui… Allons-y.

La programmeuse roula à nouveau vers son bureau et pianota quelque chose sur son clavier. Le fauteuil dans lequel Zoé était installée s’inclina. Elle se retrouva allongée sur le dos. Un compartiment s’ouvrit dans un mur et le fauteuil s’y dirigea. Zoé se retrouva dans une capsule qui évoquait un appareil d’IRM.

− Zoé, fixe ton oreillette s’il te plait.

Zoé s’exécuta. La voix de Julia résonna dans son oreille gauche.

− J’anticipe ta remarque : sans grande surprise, ça ressemble méchamment à un IRM.

Zoé ferma les yeux. Elle essayait de calmer sa respiration, mais elle ressentait des picotements sur la peau. « C’est dans ta tête », se dit-elle, « donc arrête de paniquer, tu ne peux plus reculer désormais ». La voix de Julia, dans l’oreillette, fredonnait l’air d’une chanson à la mode.

− Génial !, ironisa Zoé, je vais l’avoir en tête tout le trajet. Désespérant de se dire que le premier voyage temporel sera rythmé par cette musique.

− Et bien voilà !, s’exclama de satisfaction Julia. On finit par se détendre, hein ? Parlons business : ton premier plongeon sera le moins lointain. On t’envoie en pleine Peste Noire − c’est la maison qui offre. Est-ce que tu sais exactement où t’envoyer et en quelle année ?

Zoé se creusa la tête, en essayant de se remémorer les archives qu’elle avait étudiées. Fallait-il y aller avant l’épidémie ? Pendant ? Après ? Dans quelle ville, quel pays ? Son choix fût vite fait.

_______

Pour son premier plongeon dans le temps, Zoé doit décider d’un lieu et d’une année précise. Où et quand doit-elle aller ?

1. Forcalquier, Provence, été 1348. Un chevalier solitaire trouve refuge dans la cité comtale déchue, alors que la neige tombe en été.

2. Pen y fan, plus haut sommet du Pays-de-Galles, hiver 1349. Dans le blizzard, une bête inconnue rôde.

3. Tunis, été 1378. Un célèbre intellectuel poursuit ses recherches dans la bibliothèque de l’université Zitouna

4. Reykjavik, Islande, hiver 1402. Un navire marchand apporte avec lui de formidables richesses.

Sondage fermé, voici l’épisode 5 !

Fin de la première partie de la série. Merci à toutes et à tous pour votre participation ! La partie 2 commence dès le prochain épisode.

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