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A Paris, il ne fait jamais silence. Il fait nuit, sans aucun doute, encore que la lumière des lampadaires se glisse souvent à travers les interstices des volets. Mais le silence a été chassé de la ville il y a plusieurs décennies, à coup de klaxons, de rires, de disputes et de voitures pressées. Même quand l’orchestre urbain se tait, un bourdonnement diffus emplit les rues, car la ville endormie ronfle doucement.
Il aurait été logique de penser que le retour du silence, dans une capitale, se ferait en fanfare. Que le silence aurait été acclamé sans bruit mais avec joie, que les sommeils agités l’auraient accueilli à bras de Morphée. Lorsqu’il vint, il n’en fut rien, car personne n’était dupe : avec le silence venait la quarantaine. On dormait moins bien, à cette époque, car l’air, d’ordinaire porté par le bruit, s’était subitement alourdi ; le calme des rues jurait avec le décor. Dans les immeubles, les voisins se faisaient discrets, comme si le simple fait d’exister, même chez soi, attirait la maladie. On s’était mis à relire La Peste de Camus, écrivain-prophète le temps d’un chapitre. Et lorsqu’on ouvrait la fenêtre, pour profiter de la douceur printanière, on peinait à entendre le volume timide des épisodes de séries Netflix dont les gens raffolaient.
Zoé sursauta. Quelque chose l’avait réveillée. Fébrilement, elle chercha son téléphone en tâtonnant dans le noir. Lorsqu’elle mit la main dessus, elle jeta un œil à l’heure : une heure du matin. Elle alluma sa lampe de chevet, enfila sa paire de lunettes rondes et sans bords, et se redressa péniblement. Son studio était intact. Aucun objet n’avait pu chuter et briser le silence. Dehors, rien.
Zoé fronça les sourcils, se leva, et alla coller son oreille au mur de sa chambre. Elle ne perçut aucun bruit, mise à part la télévision de son voisin qu’il n’éteignait plus depuis trois semaines. Elle s’approcha de la fenêtre pour jeter un œil à la rue, mais là encore, aucun mouvement. Elle s’apprêtait à se recoucher lorsqu’on frappa à sa porte.
La jeune femme se figea de stupeur. Qui pouvait bien venir frapper à la porte de son appartement à cette heure et en plein couvre-feux ? Elle n’osait pas bouger, de peur que les grincements du plancher trahissent sa présence. Son cœur battait vite. On frappa à nouveau, trois coups secs et distincts, comme une confidence, comme un début de pièce de théâtre ; et d’ailleurs, la pièce s’apprêtait à débuter, elle ne le savait pas encore mais le confinement, la quarantaine, et la solitude seraient bientôt loin derrière elle. Ces trois coups, c’était un appel des étendues glacées du nord, un appel du temps – d’hier et demain -, un appel de l’aventure. Une aventure encore à la recherche de héros et d’héroïnes, encore balbutiante et pourtant déjà en marche.
On frappa à nouveau. Elle se dirigea vers son placard, attrapa un jean et un pull en laine qu’elle enfila. Elle s’attacha les cheveux en chignon, à la va-vite, et s’approcha de la porte pour jeter un œil à travers le judas. Ce qu’elle vit la rassura quelque peu.
Sur le palier faiblement éclairé se tenait une femme d’une trentaine d’années. Elle avait la peau mate, les cheveux bruns, frisés, et attendait patiemment qu’on lui ouvre. Intriguée, Zoé ouvrit la porte.
− Euh… Oui ?, demanda Zoé.
− Ah ! Bonsoir, désolé de vous déranger aussi tard… Je… Je m’appelle Sana, enchantée.
Elle tendit sa main en direction de Zoé qui la regarda comme si c’était une extraterrestre.
− On ne… On ne peut pas se serrer la main, vous savez ? La quarantaine, tout ça…
Sana retira sa main et bafouilla :
− Oui, oui bien sûr ! Pardon !
Zoé commençait à trouver son interlocutrice étrange. Elle était vêtue intégralement de noir, des pieds à la tête, avec un sac à dos de sport sur les épaules et des gants en cuir.
− C’est pour quoi ?, finit par demander Zoé.
− Et bien je… Je m’apprêtais à faire des cookies, et je me suis rendu compte qu’il me manquait de la farine. Est-ce que vous pourriez me dépanner ?
− Vous dépanner ? Pour faire des cookies à une heure du matin ?
Zoé s’apprêtait à lui claquer la porte au nez lorsque Sana reprit :
− Zoé, nous avons vraiment besoin de ton aide.
− « Nous » ?
Sana acquiesça en souriant, comme si cette simple phrase suffisait à tout expliquer. Zoé, irritée, reprit :
− Écoutez, je comprends rien à votre histoire. Je suis à deux doigts d’appeler les flics. Pourquoi avez-vous frappé à ma porte et pas celle de cet idiot de voisin ?
Elle avait élevé le ton exprès pour que son voisin de palier puisse l’entendre depuis sa chambre. Un « silence, merci ! » étouffé lui répondit. Elle secoua la tête.
− Zoé, laisse-moi t’…
− D’abord, coupa Zoé, on arrête le tutoiement spontané comme ça parce que ça me met de travers. Et puis comment connaissez-vous mon prénom ?
− Il est sur la sonnette, répondit Sana en souriant. Mais peut-être que je pourrais t’expliquer la raison de ma venue autour d’un café ?
− Allo ? Un café à une heure du matin ? Allez, merci, bonne soirée !
Zoé lui claqua la porte au nez en grommelant, éteignit la lumière et s’affala sur le lit. Le temps passa lentement. La jeune femme se tournait et se retournait dans le lit, incapable de s’endormir. L’absurdité de sa rencontre la travaillait. Elle prit son téléphone en main et consulta Facebook, Instagram et ses messages Whatsapp. Rien de neuf. Une heure s’écoula sans qu’elle ne parvienne à fermer l’œil. Elle finit par comprendre qu’elle ne se rendormirait plus. Elle ouvrit la fenêtre, par laquelle un air frais nocturne s’engouffra. A sa plus grande surprise, un hululement de chouette provenait d’un arbre voisin.
Quitte à ne pas dormir, elle prit la décision de monter sur le toit de l’immeuble. De là-haut, la vue était dégagée sur le Sacré Cœur, et on pouvait apercevoir le halo lumineux de la Tour Eiffel qui perçait les nuages à intervalle régulier. Il avait été décidé de la laisser allumer toute la nuit. Peut-être était-ce symbolique ? Pour redonner de l’espoir ? En tout cas de là-haut, la vue était belle.
Zoé prépara un thermos de café et s’habilla chaudement. Au moment de sortir, elle jeta un œil par le judas. Le pallier était plongé dans l’obscurité, elle ne vit personne. Rassurée, elle sortit de chez elle et entreprit de monter les trois étages qui la séparaient du toit. Au sixième étage, elle grimpa l’échelle, se hissa jusqu’à la trappe et, d’un geste précis, l’ouvrit en grand. Et comme à chaque fois qu’elle venait ici, elle ressentit une vive émotion à la vue de Paris.
Face à elle, la ville scintillait fièrement grâce aux lampadaires, aux fenêtres encore éclairées, aux décorations de Noël oubliées, aux phares des rares voitures qui circulaient. Des milliers, des millions d’étoiles dans un horizon de béton ; de l’énergie gaspillée mais rassurante, le halo orangé d’un autre monde qui berçait la capitale endormie.
Zoé contourna une cheminée et avança prudemment jusqu’à son endroit favori. Là, elle s’assit et se plongea dans la contemplation de Paris. A sa droite, le Sacré Cœur dominait de toute sa taille les bâtiments qui l’entouraient. Le faisceau du phare de la tour Eiffel vint effleurer un immeuble voisin.
− Re-bonsoir Zoé !, s’exclama soudain une voix féminine.
Zoé fit un bond en criant, manquant de lâcher son thermos et de perdre l’équilibre. Une main ferme lui saisit l’avant-bras et la rééquilibra.
− Pardon, je t’ai fait peur !
Zoé sortit son téléphone, alluma le flash et le braqua sur le visage de la personne.
− Encore vous ? Vous êtes complètement malade, j’ai failli tomber du toit ! Vous me suivez maintenant ?
− Je suis vraiment désolée, répondit Sana.
Elle recula respectueusement d’un pas. Le ton de sa voix semblait sincère.
− Vous me voulez quoi, à la fin ?
− Je vais tout t’expliquer, mais il faudrait que tu t’assoies d’abord.
Zoé jaugea son interlocutrice et soupira.
− D’habitude, je viens ici pour être tranquille, dit-elle en s’asseyant.
Sana l’imita.
− Ceci dit, c’est plutôt calme en ce moment, avoua Zoé.
− J’imagine.
− Donc si j’ai bien compris, on se tutoie ?
− Si ça ne te dérange pas, répondit Sana en hochant la tête. Je pense qu’on a le même âge.
Zoé but une gorgée de café et se brûla la langue. Elle referma le thermos en grimaçant.
− Je ne te propose pas de café du coup… Toujours pareil, les mesures sanitaires, tout ça…
− Pas de problème.
Elles restèrent silencieuses un instant, toutes deux plongées dans la contemplation de la ville. Un vent doux joua avec les mèches rebelles de Zoé. La jeune femme réajusta ses lunettes, puis se tourna vers Sana.
− Bon, tu m’expliques ?
Sana se racla la gorge. Elle hésita un instant, mal à l’aise, puis commença :
− Je ne peux pas encore tout te raconter. Moi-même il me manque bon nombre de pièces dans ce puzzle. Des choses immenses nous attendent, et j’ai encore du mal à bien les cerner. Mais je peux au moins te dire ce que je sais.
Elle se gratta machinalement derrière la tête et poursuivit :
− J’ai… Nous allons avoir besoin d’aide. Tout est allé si vite… C’est encore très flou mais…
Elle cherchait ses mots. Zoé s’impatientait.
− Mais… ?
Sana retira son sac à dos et fouilla à l’intérieur. Elle en ressortit un livre qu’elle tendit à Zoé.
− C’est bien de toi ?
Zoé saisit l’ouvrage, intriguée, et l’éclaira à la lumière de son téléphone. Elle haussa un sourcil.
− Oui, c’est bien de moi, confirma-t-elle en lui rendant l’ouvrage.
− Tu as écrit ce livre ?
− Oui, pour la deuxième fois, j’ai bien écrit ce livre.
Sana hocha la tête satisfaite.
− C’est parfait. Et donc tu es… ?
− Tu veux savoir quel est mon travail ?
− Oui.
− Je suis…
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